PERSPECTIVES DÉCOLONIALES SUR LES ARTS NUMÉRIQUES EN AFRIQUE ET EN AMÉRIQUE LATINE | Artbox Digital

PERSPECTIVES DÉCOLONIALES SUR LES ARTS NUMÉRIQUES EN AFRIQUE ET EN AMÉRIQUE LATINE

JPP-1

Les termes utilisés pour décrire les périodes historiques dans notre société tendent à refléter une notion oblique et linéaire de l’objectif final du développement. L’ère de “l’information” ou ère “numérique” ne fait pas exception, étant la révolution technologique qui a conduit à certains des marchés les plus opulents de l’histoire, basés sur l’échange, la marchandisation et l’industrialisation de l’information numérique. Les arts visuels sont capturés dans cet ouragan historique, car de nombreux artistes utilisent et / ou sont sensibles à ces mises à jour technologiques. Indépendamment du degré de criticisme que peuvent avoir les projets artistiques à l’égard de ce phénomène, le domaine connu sous le nom de « l’art numérique » a connu une croissance exponentielle dans les universités, les galeries, les musées et dans la définition des artistes de leur propre travail.

Le discours sur l’ère numérique de la plupart des industries et des gouvernements dans les pays du nord est basé sur des notions d’ouverture cosmopolite, d’une connectivité transnationale accrue et d’une vie urbaine facilitée, avec des services publics et privés réduits à l’écran d’un téléphone. Cependant, comme ces concepts sont utilisés universellement, il est important de comprendre les difficultés, les défis et les possibilités de l’art et de la culture numérique dans les pays du sud. Une vision critique de ces temps historiques peut ouvrir les portes du langage numérique en tant qu’un outil politique, idéologique et esthétique utile pour les espaces géopolitiques destinataires.

Les conditions matérielles de la révolution numérique.

Internet World Stats offre une image sombre de l’avancement de la culture du net sur le continent africain, révélant que le taux de pénétration de l’Internet dans la vie des citoyens africains n’est que de 27,7% et qu’ils représentent seulement 9,3% des utilisateurs internet dans le monde entier. De même, les Amériques représentent 18,9% de tous les internautes du monde entier, un nombre considérablement augmenté par l’inclusion de l’Amérique du Nord dans les statistiques.

Cet article ne prétend pas faire valoir que, selon ces chiffres, il devrait y avoir plus de dispositifs et de technologie apportés dans les pays du sud. En effet, cela est le discours de la plupart des gouvernements et des entreprises dans les pays en développement qui promettent des ordinateurs et des tablettes aux pauvres afin d’exclure les discussions sur l’origine et l’utilisation de ces technologies. Même si l’Amérique latine et l’Afrique étaient submergées par des ordinateurs, des smartphones, des tablettes et tout autre gadget que vous pourriez imaginer, ces produits finissent par engendrer plus de problèmes et de déchets que de solutions aux communautés qu’ils pénètrent. La promesse d’apporter de nouvelles technologies dans le sud du monde dissimule généralement un processus continu de colonisation et une dépendance à l’égard de la dynamique des marchés étrangers.

Le marché des biens numériques et de l’information numérique émerge de la dynamique économique coloniale qui a historiquement dominé les relations entre le nord et le sud. La plupart des métaux nécessaires à l’économie numérique, tels que le cobalt, sont extraits de grandes mines dans les pays les plus pauvres, riches en minéraux et en mines. L’une des plus grandes mines de cobalt est en République Démocratique du Congo, où le travail des enfants est en plein essor. Ces métaux précieux sont exportés à des prix non réglementés de plusieurs pays du sud, transformés par le nord, et vendus à nouveau comme des produits numériques entièrement emballés dans le sud.

Ces métaux sont très toxiques, qui non seulement, mettent en péril la vie de nombreux travailleurs, mais aussi contaminent le sol via des décharges où ces métaux s’infiltrent à nouveau dans le sol. Selon The Guardian, Interpol dit qu’il est courant que les entreprises et les pays du nord envoient du matériel numérique pouvant être réutilisé ou rénové dans les pays les plus pauvres. Cependant, l’article en question fait valoir que de nombreux pays d’Europe exportent des produits abimés vers des pays africains et asiatiques sous de faux prétextes, principalement pour éviter les coûts associés au processus de recyclage. L’Agence européenne pour l’environnement “estime entre 250 000 tonnes et 1,3 million de tonnes le nombre de produits électriques usés qui sont expédiés hors de l’union européenne tous les ans, principalement vers Afrique de l’Ouest et en Asie”.

Dans la même veine, les États-Unis se sont « débarrassé de 258,2 m d’ordinateurs, de moniteurs, de téléviseurs et de téléphones mobiles en 2010, dont seulement 66% ont été recyclés. Près de 120 millions de téléphones mobiles ont été collectés, la plupart ont été expédiés à Hong Kong, en Amérique latine et dans les Caraïbes. » Lorsque les millions d’ordinateurs arrivant dans les pays du sud deviennent obsolètes (selon le Programme des Nations Unies pour l’environnement, il était de 183 millions en 2004), Ils laissent derrière eux des matériaux dangereux tels que le plomb et le mercure, contaminant et polluant l’environnement de ces pays. C’est une affaire complète pour les pays du nord ; Ils acquièrent les matériaux à bas prix, produisent et vendent les produits à des prix élevés et n’ont pas à se soucier des déchets qu’ils produisent.

L’Afrique et l’Amérique latine ont l’expérience de la culture numérique dans ses conditions matérielles, quand l’Europe et l’Amérique du Nord ont tendance à la côtoyer sous sa forme immatérielle. Ce qui est la culture cosmopolite et ouverte du Web pour le nord, est généralement traduit en déchets électroniques et en exploitation dans le sud.

Comprendre l’art numérique en tant que phénomène mondial.

Si les arts numériques sont des arts visuels réalisés avec un support numérique, la question du médium utilisé lui-même devient cruciale dans notre analyse de cette pratique artistique dans le sud. La matérialité du support a été abordée précédemment, mais il est également important de noter que la plupart des plateformes utilisées pour produire des images, du son et des vidéos numériques sont créées et distribuées par des entreprises du Nord. Non seulement ces sociétés encaissent les gains de leurs ventes, mais elles vendent également dans leur propre monnaie, ce qui les rend beaucoup plus inaccessibles au grand public dans les pays du sud, la plupart avec des devises dévaluées et des économies gonflées.

Cela devient pertinent dans la mesure on l’on cherche à comprendre les codes de langage introduits par ces technologies, qui ne peuvent être séparés des espaces d’où ils émergent. La culture numérique permet un accès majeur aux images et aux sons d’autres endroits, d’autres cultures, d’autres idéologies. Bien que cela ait été crucial pour le Sud en termes d’expansion des ses réseaux transatlantiques, ils ne sont pas tous issus d’une nécessité de décoloniser, ou du moins de repenser les espaces d’échange. Dans la plupart des cas, l’utilisation de plateformes numériques tend à homogénéiser les cultures, car dans le cas des plateformes offertes pour se présenter numériquement (Facebook, twitter, Instagram) sont toutes associées à une esthétique et à un savoir-faire particuliers, autant que ces entreprises essaient d’être aussi internationalisée que possible.

Dans les arts numériques, il existe une condition similaire, où les catégories « net. Art » ou « art post-internet », expliquent les changements et les utilisations des supports numériques pour élargir la notion de pratique artistique. Ces catégories ont du sens comme un résultat linéaire, presque inévitable, des mouvements conceptuels qui ont défini l’art dans les pays du nord dans les années 60 et 70.

Il est important de tenir compte de la technologie numérique, pas comme un phénomène universel, ce qui a tendance à se produire avec Facebook, mais plutôt comme dépendante du contexte. La technologie ne signifie pas la même chose partout ; Ses usages, ses besoins et ses opportunités dépendent des espaces qu’il habite. À l’instar du discours décolonial sur la langue et la représentation, entamé par des personnalités importantes telles que Léopold Sedar Senghor et Frantz Fanon, comment pouvons-nous en arriver à des langages décolonisées et locales de la technologie, qui s’appliquent à notre propre contexte ?

La plupart des échanges artistiques entre l’Afrique et l’Amérique latine, en particulier les arts numériques, se déroulent à travers des plateformes et des institutions médiatisées par le Nord. En partie, c’est une situation financière inévitable, mais il est également nécessaire de trouver les conditions favorables à un dialogue sud-sud. Ce dialogue devient pertinent car il existe de nombreuses expériences avec la technologie et ses codes qui devraient être partagés, d’où ce langage décolonisée transnationale pourrait émerger. La compréhension des conditions matérielles de la pratique artistique, telle qu’elle est immergée dans des sphères historiques, économiques, politiques et sociales particulières, est primordiale pour affronter et se libérer de la matrice coloniale du pouvoir.

Leave a comment